La guerre et les urnes en 2023, année électorale
Notre chroniqueur François Guilbert brosse le portrait dâune Birmanie oĂč la junte militaire au pouvoir entend bien consolider sa main mise sur le pays en verrouillant les urnes.
Depuis le dĂ©but de lâannĂ©e 2023, le chef de la junte birmane sâemploie activement Ă mettre en avant les Ă©lections gĂ©nĂ©rales quâil entend tenir dâici quelques mois. Sâil nâa pas encore prĂ©cisĂ© la date du scrutin, il vient de lever un premier voile en annonçant que dorĂ©navant les parlementaires seront Ă©lus Ă la proportionnelle. Sâil laisse entendre que ce nouveau systĂšme de sĂ©lection des Ă©lus sera Ă lâavantage des minoritĂ©s ethniques et est le fruit de discussions entre la Commission Ă©lectorale de lâUnion (UEC) et certaines formations politiques, il se garde bien de dire que cette Ă©volution politique est une violation de la Constitution de 2018 dont il se prĂ©sente pourtant comme un ardent dĂ©fenseur. En 2014, la Cour constitutionnelle avait en effet, fait savoir que la reprĂ©sentation Ă la proportionnelle nâĂ©tait pas compatible avec la loi fondamentale Ă©laborĂ©e six plus tĂŽt par et pour lâarmĂ©e. Par ailleurs, le gĂ©nĂ©ral Min Aung Hlaing nâa pas prĂ©cisĂ© comment cette rĂ©forme va entrer dans le corpus juridique. On voit mal le rĂ©gime, nĂ© du putsch du 1er fĂ©vrier 2021, passer par la voie rĂ©fĂ©rendaire pour adopter la mesure. Il nâen a dâailleurs guĂšre le temps puisque le scrutin promis devrait intervenir dâici la fin juillet 2023.
Selon le calendrier que le chef de lâarmĂ©e dit vouloir respecter, la Birmanie verra au 31 janvier sâachever constitutionnellement la pĂ©riode de deux annĂ©es maximales dâĂ©tat dâurgence. Une rĂ©union du Conseil de dĂ©fense et sĂ©curitĂ© nationale (NDSC) sera convoquĂ©e dâici la fin du mois et confiera Ă une autoritĂ© dite de transition â le Conseil dâadministration de lâĂtat (SAC) pourrait bien prendre un nouveau nom Ă cette occasion â le mandat dâorganiser des Ă©lections gĂ©nĂ©rales sous six mois. Le NDSC Ă©tant totalement Ă la main des gĂ©nĂ©raux putschistes, ils se donneront Ă eux-mĂȘmes le pouvoir de poursuivre leur action en orchestrant un simulacre Ă©lectoral, le parti vainqueur Ă qui le pouvoir doit ĂȘtre remis in fine Ă©tant connu dâavance. NĂ©anmoins, pour donner un semblant de lĂ©gitimitĂ© institutionnelle au processus engagĂ©, ils sortiront peut ĂȘtre de leurs discrĂštes retraites le gĂ©nĂ©ral Myint Swe (ex. vice-prĂ©sident de la RĂ©publique depuis 2016) et lâex chef milicien pro-militaire T Khun Myat (prĂ©sident de la Chambre des reprĂ©sentants de 2018 Ă 2021) mais les 6 autres membres du NDCS sont tous des membres Ă©minents du Conseil dâadministration de lâĂtat (n°1 et 2 de lâarmĂ©e, ministres des Affaires Ă©trangĂšre, de la dĂ©fense, de lâIntĂ©rieur et des Affaires frontaliĂšres).
Le SAC nâa jamais cachĂ© son intention de passer par les urnes pour demeurer au pouvoir. Le retour dâune dĂ©mocratie disciplinĂ©e multipartis selon le lexique politique des hommes en treillis constitue, depuis prĂšs de deux ans, lâun des 5 points de leur Feuille de route. Celle-ci trĂŽne dâailleurs, chaque jour, en haut de la premiĂšre page du quotidien The Global New Light of Myanmar. Les militaires nâauront aucune difficultĂ© Ă trouver des formations politiques qui se prĂȘteront au jeu. On peut considĂ©rer quâil existe plus dâune trentaine de partis qui sont pleinement disposĂ©s Ă se prĂ©senter devant les Ă©lecteurs. Nombre de ceux-ci ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s ex nihilo et ont Ă©tĂ© suscitĂ©s par le rĂ©gime militaire prĂ©cĂ©dent en prĂ©vision du scrutin de 2010. Sâil est encore trop tĂŽt pour dire tous ceux qui seront sur les rangs le jour venu, il est gĂ©nĂ©ralement convenu que lâon retrouvera des candidats issus, bien Ă©videmment, du relais historique de lâarmĂ©e, lâUnion Solidarity and Development Party (USDP), mais Ă©galement de lâArakan Front Party, du Mon Unity Party, du National Democratic Front, du Peopleâs Pioneer Party, du Peopleâs Party ou encore du Shan Nationalities Democratic Party. A contrario, il ne semble pas exister de scĂ©nario crĂ©dible dâune possible participation de la National League for Democracy dâAung San Suu Kyi. Mais de maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, il existe une sĂ©rieuse inconnue sur les organisations partisanes susceptibles de concourir puisque les militaires auraient pour intention prochaine dâadopter une nouvelle loi sur les partis politiques afin, Ă la fois, dâen rĂ©duire le nombre (93 ont un statut lĂ©gal), tout en sâassurant que nombre dâentre eux seront bien prĂ©sents au rendez-vous Ă©lectoral de 2023.
Si le paysage partisan de la future consultation est encore extrĂȘmement flou, les modalitĂ©s de vote le sont tout autant. Pour lâheure, les Ă©lecteurs ne connaissent pas le nombre des circonscriptions qui seront mises en jeu ou encore lâimplantation des bureaux de vote. Lâun comme lâautre de ces points est pourtant un enjeu majeur puisque le gĂ©nĂ©ral Min Aung Hlaing a proclamĂ© dans son discours du jour de lâindĂ©pendance (4 janvier 2023) que la participation des Ă©lecteurs fut bien moindre du temps du gouvernement civil Ă©vincĂ© (novembre 2020) quâĂ lâĂ©poque des scrutins orchestrĂ©s par ses devanciers militaires (2010, 2015). Puisquâil mesure la dĂ©saffection populaire non pas tant par le taux de participation que par le nombre de townships oĂč la votation a pu se tenir, il lui appartient maintenant de pouvoir mener Ă bien la consultation Ă©lectorale dans plus de 320 des 330 townships du pays. Ce ne sera pas si facile, tant les violences sont dispersĂ©es sur le territoire.
Pour parvenir Ă ses fins, le rĂ©gime militaire peut ĂȘtre tentĂ© de rĂ©duire le nombre des bureaux de vote en les installant seulement dans des lieux pleinement sous son contrĂŽle, en reportant Ă 2025 les consultations qui ne pourront se tenir pour des raisons de sĂ©curitĂ© et en demandant la bienveillance de certains groupes ethniques armĂ©s « amis ». La semaine derniĂšre les militaires ont explicitement sollicitĂ© le Shan State Progress Party, lâUnited Wa State Army et lâUnited Wa State Party de les laisser tenir les Ă©lections dans leurs zones. Une dĂ©marche du mĂȘme acabit a Ă©tĂ© faite fin dĂ©cembre 2022 auprĂšs de 5 autres petits groupes ethniques armĂ©s (Arakan Liberation Party, Democratic Karen Benevolent Army, Karen National Union/Karen National Liberation Army-Peace Council, Lahu Democratic Union, Pa-O National Liberation Organization). A supposer que cette manĆuvre rĂ©ussisse partout, elle nâest pas une garantie suffisante pour montrer au monde que le scrutin de 2023 sera, non seulement, libre et Ă©quitable mais aussi organisĂ© Ă lâĂ©chelle de tout le pays.
En attendant, le rĂ©gime militaire entend dĂ©montrer quâil se prĂ©pare avec sĂ©rieux et que ses opposants ont peur de se prĂ©senter devant les Ă©lecteurs (ex. rappel par la propagande militaire que la NLD dâAung San Suu Kyi sâest imposĂ©e en 2020 grĂące Ă des fraudes massives) et recourent Ă la violence pour empĂȘcher lâexpression des citoyens. Dans cette perspective le 6 janvier, le gĂ©nĂ©ral Min Aung Hlaing a solennisĂ© le dĂ©but du processus Ă©lectoral. Il a rĂ©uni autour de lui Ă Nay Pyi Taw les ministres de lâUnion et ses reprĂ©sentants dans les Ătats et les rĂ©gions et a annoncĂ© le dĂ©but du recensement des Ă©lecteurs. Celui-ci a commencĂ© officiellement lundi 9 janvier et se poursuivra jusquâau mardi 31 janvier 2023. Les personnels des ministĂšres de lâIntĂ©rieur et de lâImmigration et de la population nâont pas le droit de prendre de congĂ©s ce mois pour effectuer ce travail en bon ordre. Il est vrai quâen 2010 et 2015 les listes Ă©tablies Ă©taient, pour le moins, emplies dâerreurs. En 2020 Ă©galement mais la Commission Ă©lectorale publia par deux fois ses listes dans les quartiers et villages et sollicita, Ă la vue de tous, les corrections apportĂ©es par les citoyens. Aujourdâhui, le processus engagĂ© est bien plus opaque et verrouillĂ©. AprĂšs avoir au cours des derniers mois aprĂšs avoir appointĂ© parmi les militants de lâUSDP et les retraites de lâappareil de sĂ©curitĂ© des nouveaux chefs de wards et townships chargĂ©s dâencadrer la population, les agents administratifs passent ces jours-ci de maison en maison, accompagnĂ©s de policiers ou de soldats pour Ă©tablir les listes des citoyens-Ă©lecteurs. Les personnes qui sây refusent risquent gros. En provinces, il a Ă©tĂ© fait dĂ©jĂ Ă©tat de menaces dâarrestations et dâincendies des habitations des contrevenants. Cette pratique coercitive est aussi celle employĂ©e par des nervis du rĂ©gime militaire qui convoquent les Ă©lecteurs Ă des rĂ©unions dâinformations politiques avec les responsables de lâUSDP.
De maniĂšre plus soft, il peut ĂȘtre proposĂ© aux potentiels Ă©lecteurs une contrepartie en nature (huile, riz) pour venir Ă©couter la bonne parole des relais du pouvoir.
Il ne fait aucun doute que lâUSDP est dĂ©jĂ en campagne. Son prĂ©sident dĂ©signĂ© en octobre 2022, le gĂ©nĂ©ral (cr) Khin Yi, est Ă la manĆuvre et multiplie les rĂ©unions aux quatre coins du pays. En rĂ©action, lâopposition entre, elle aussi, dans la bataille Ă©lectorale. Bien que la NLD ne soit pas en position de faire connaĂźtre son point de vue, Aung San Suu Kyi est incommunicado et a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă 33 ans derriĂšre les barreaux dont 3 annĂ©es de travaux forcĂ©s, les oppositions font connaĂźtre leurs refus de lâorchestration du scrutin de 2023. Les groupes ethniques armĂ©s chin, kachin et kayin ont publiquement dĂ©clarĂ© par la voie de leurs porte-paroles leur hostilitĂ© Ă ces Ă©lections « fictives » et dit leur dĂ©termination Ă sây opposer les armes Ă la main. De son cĂŽtĂ©, le gouvernement issu de la vague parlementaire NLD de 2020 (NUG) a incitĂ© ses partisans Ă faire connaĂźtre de « fausses informations » aux personnels chargĂ©s du recensement, tout en Ă©tant bien conscient quâĂȘtre inscrit sur une liste Ă©lectorale est en rien une garantie pour le SAC que lâĂ©lecteur se rendra Ă lâurne le jour venu. Il a Ă©galement demandĂ© que soient rapportĂ©es des informations sur les administrateurs de quartier et tous ceux qui sont chargĂ©s des opĂ©rations de collectes des donnĂ©es personnelles Ă des fins Ă©lectorales, qui servent aussi Ă surveiller la population voire rĂ©primer les opposants. Il a par la voix de son ministĂšre de lâIntĂ©rieur menacĂ© le 9 janvier de « poursuites lĂ©gales », au nom de la loi antiterroriste, toute personne qui se joindra Ă la junte pour tenir des Ă©lections « illĂ©gitimes ».
Dans ce contexte, le recensement Ă©lectoral qui sâengage est source de nouvelles tensions, pour ne pas dire de drames sanglants. DĂšs le premier jour, dans la rĂ©gion du Tanintharyi un policier accompagnateur a Ă©tĂ© abattu. Le 10 janvier, la Yangon Underground Force (YUF) a attaquĂ© militairement lâenceinte du ComitĂ© de dĂ©veloppement du township rangounais de Mingaladon oĂč sont collectĂ©es les listes Ă©lectorales. Le 11, dans la municipalitĂ© de Tamwe, une grenade a Ă©tĂ© lancĂ©e dans la voiture dâun administrateur de quartier chargĂ© dâassemblĂ©e la liste des Ă©lecteurs dâune rue.
Si lâopposition entend bien dĂ©montrer son emprise territoriale dans les mois qui viennent, la junte fait tout pour que le sang coule. Sans mĂȘme parler de ses opĂ©rations combattantes recourant systĂ©matiques Ă lâarme aĂ©rienne et Ă la destruction des villages des insoumis pour Ă©radiquer ses ennemis dans le nord-ouest et le sud-est de la Birmanie alors quâun cessez-le-feu unilatĂ©ral a Ă©tĂ© Ă©noncĂ© par le bureau du commandant-en-chef de la Tatmadaw la veille du jour de lâAn jusquâau 31 dĂ©cembre 2023, la junte fait volontiers de tous ceux qui se prĂȘtent au processus Ă©lectoral des cibles humaines pour ses adversaires.
Ainsi, elle contraint pour son opĂ©ration de recensement des Ă©lecteurs nombre de non-fonctionnaires, Ă commencer par des employĂ©s de structures caritatives et dâorganisations de la sociĂ©tĂ© civile. Ce nâest pas ainsi que le SAC va se bĂątir de nouvelles loyautĂ©s en interne et convaincre la plupart des nations de la communautĂ© internationale quâil sâengage sur une voie irĂ©nique et de rĂ©conciliation nationale. Les AmĂ©ricains croient si peu Ă une dynamique vertueuse des Ă©lections « militaires » quâils en ont dĂ©jĂ rĂ©cusĂ© lâobjet au plus haut niveau de leur diplomatie, quant aux Etats-membres de lâUnion europĂ©enne, ils se sont mis dâaccord pour mettre sous sanction tous les membres de la Commission Ă©lectorale de lâUnion (fĂ©vrier 2021 et 2022, novembre 2022). Du cĂŽtĂ© de lâASEAN, de Phnom Penh Ă Jakarta en passant par Kuala Lumpur et Singapour, on ne croit pas plus dans les Ă©lections qui se profilent pour constituer une sortie de crise crĂ©dible et honorable. On est bien loin du climat politico-diplomatique qui prĂ©valait Ă la veille des Ă©lections gĂ©nĂ©rales de 2010 conduites par le gĂ©nĂ©ral Thein Sein.
Par François Guilbert â Gavroche-thailande.com â 13 janvier 2023
#birmanie #elections #militaire #politique
Originally posted at: https://vietnam-aujourdhui.info/2023/01/13/la-guerre-et-les-urnes-en-2023-annee-electorale/